Affaire Tour de France : La Cour de cassation clarifie les critères de protection des marques de renommée

Maëva Gomez, 02/04/2025

A l’occasion du contentieux qui opposait la Société du Tour de France (STF) et de l’Amaury Sport Organisation (ASO) à une association de promotion de la pratique sportive, ayant déposé la marque « Tour de France à la rame », la Cour de cassation a rendu une décision importante pour la protection des marques de renommée, le 19 mars dernier[1]. Elle apporte un éclairage important sur la protection dont doivent bénéficier les marques de renommée exceptionnelle et sur l’appréciation portée sur les critères de renommée, de similitude des signes et de risque de dilution.

1. La renommée de la marque au-delà de l’épreuve cycliste

Dans l’arrêt censuré en date du 5 juillet 2023, la Cour d’appel de Paris[2] avait refusé, comme le juge de première instance, d’admettre l’atteinte portée à la renommée de la marque « Tour de France », mis à part les services liés à l’organisation d’épreuves cyclistes, en négligeant son exceptionnelle notoriété auprès du grand public. Ce faisant, elle avait considéré que du fait des conditions d’exploitation de la marque « Tour de France », l’utilisation du terme renvoyait exclusivement à l’épreuve cycliste.

La Cour de cassation retient bien au contraire, qu’en limitant cette renommée à certains produits ou services, la juridiction d’appel a violé les dispositions de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, tel qu’interprétée au regard de l’article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive européenne 2008/95/CE.

En effet, après avoir rappelé les principes de l’arrêt Intel[3] qui définit une marque à renommée exceptionnelle comme celle dépassant le public désigné par son enregistrement, elle a retenu que la notoriété de la marque « Tour de France » revêt une intensité exceptionnelle, atteignant un large public justifiant ainsi une protection au-delà du secteur sportif. A ce titre, il a notamment été souligné que cette course est qualifiée de « troisième événement sportif mondial » et que son taux de notoriété dans plusieurs pays est supérieur à 90%.

2. Une interprétation erronée des éléments de comparaison

La Cour de cassation a également considéré que l’appréciation portée par la Cour d’appel sur la similitude des signes en présence violait les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle. Cette dernière ayant jugé que les deux marques concernées présentaient une faible similarité, puisque l’une évoquait un tour de France à vélo tandis que l’autre serait perçue comme un périple effectué en bateau à rames.

Tout en rappelant que la comparaison des signes visuels, phonétiques et conceptuels doit permettre de déterminer le degré de similitude entre les marques, elle a posé pour principe que cette comparaison doit s’opérer au regard de leurs qualités intrinsèques, indépendamment de leur usage commercial et de leurs conditions d’exploitation.

Cette précision apparaît comme capitale pour éviter toute interprétation trop restrictive ou contextuelle des signes en question, lorsqu’ils se rapportent à une marque de renommée au sens du droit positif, sauf à affaiblir la protection particulière dont jouissent ces marques.

3. L’impact de la renommée sur l’appréciation des liens entre marques et le risque de dilution

La Cour de cassation a, au surplus, jugé que la Cour d’appel n’avait pas apprécié si l’usage de la marque « Tour de France à la rame » pouvait diluer la renommée de la marque « Tour de France », puisque cette dernière a uniquement pris en considération ses conditions d’exploitation.

Et ce, alors qu’elle aurait dû examiner si l’utilisation de la marque « Tour de France à la rame » pouvait affaiblir la distinctivité de celle détenue par la société du Tour de France et la société Amaury, jusqu’à la rendre générique aux yeux du public, et ainsi compromettre sa fonction d’origine.

Cette décision, à laquelle la Cour de cassation a donné une grande publicité, affirme ainsi que la protection des marques doit s’appuyer sur l’intensité de leur renommée, qui constitue un facteur déterminant dans l’évaluation du lien entre les marques en conflit et dans la nécessité de préserver leur distinctivité face aux risques de dilution.

[1]Cass. Com., 19 mars 2025, n°23-18.728, Publié au bulletin

[2] CA Paris, 5 juillet 2023, n° 21/11290

[3] CJUE 27 nov. 2008, Intel Corporation, aff. C-252/07, pts 51 à 53

Plus d'articles

28/10/2024

CHANEL vs JONAK – La maison de luxe obtient gain de cause pour parasitisme avec...

Créé en 1957, le modèle « slingback » bicolore beige et noir de la maison C...

04/07/2024

Marque tridimensionnelle : la distinctivité de la forme d’un phare de voiture de Volvo Personvagnar...

Le 26 juin 2024, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision ren...

17/04/2024

IA et données personnelles : la CNIL publie ses premières fiches pratiques

A l’issue d’une consultation publique sur ce thème, la CNIL a publié le 8 ...

09/09/2022

Le grand quotidien sportif français « L’ÉQUIPE » subit la déchéance partielle de sa marque...

En prononçant la déchéance partielle de la marque « L’ÉQUIPE » pour dÃ...

Voir plus
x

Ce site utilise des cookies pour améliorer la navigation et adapter le contenu en mesurant le nombre de visites et de pages vues. En savoir plus

Accepter Refuser